Résumé : Marie a un travail, un mari, une famille, un appartement à Paris. Mais tout bascule le jour où son patron, sous prétexte de la ramener chez elle, l’entraîne dans un parking sous-terrain et la viole. A partir de là, les jours s’enchainent mais n’ont plus aucun sens. Le temps passe mais n’a plus vraiment d’importance. Et malgré tout, il faut vivre, faire comme si rien de tout cela n’était arrivé, faire comme si. Ecrire sur le viol. Telle est la lourde tâche que s’est assignée Inès Bayard en décidant d’écrire « Les malheurs du bas », récit d’une femme abusée et de sa descente au enfers. L’initiative a du bon, surtout par les temps qui courent, alors que la parole se libère tout doucement. Mais ce sujet pénible, douloureux, terrible se doit d’être traité avec beaucoup de sensibilité et de finesse. Je ne dirais pas avec des pincettes, car je ne pense pas qu’il faille censurer. Ce n’est pas le problème. Le problème de ce livre, c’est ce qu’il fait dire aux femmes : « Personne ne va vous comprendre », « C’est vous qu’on tiendra pour responsable », « Il faut se taire ». Effectivement, les réactions des proches de Marie sont absolument invraisemblables, surtout celle de la sœur, Roxane, qui, alors qu’elle vient d’apprendre que sa sœur a été violée, ressent de la compassion à l’égard de Laurent, son mari. Et en faisant de Marie le personnage le plus banal possible, Inès Bayard semble vouloir faire de son cas une généralité, comme si toutes les femmes violées allaient se heurter aux mêmes pensées, aux mêmes problèmes. Je pense que c’est cet aspect qui m’a le plus dérangée dans ce roman, mais cela ne s’arrête malheureusement pas là. Je suis pourtant consciente que ce livre a été écrit avec de bonnes intentions. A travers les pages, on perçoit certains messages féministes tout-à-fait véridiques, mais le fait qu’ils soient envisagés uniquement à travers le prisme du viol pose problème. Car la vie de Marie avant son agression n’avait rien d’enviable : elle était soumise sans même s’en rendre compte, servant inlassablement son époux, dénuée de toute personnalité. Et pourtant, elle était parfaitement heureuse ainsi. Or, un femme, même si elle se fait violée, a le droit d’avoir une personnalité, des traits de caractère et continue de rester une personne a part entière. Cet événement ne la définit pas. Tandis que le viol de Marie est l’événement déclencheur qui lui permet de réaliser que nombre d’éléments de sa vie témoignent de sa soumission : son mari la force à allaiter, elle ne peut se refuser à lui sans susciter les questions, voire l’énervement, elle se voit même imposer le meilleur ami de Laurent comme gynécologue. Si le viol n’avait pas eu lieu, elle n’aurait jamais réalisé toutes ces choses. Elle aurait continué de mener une vie qui, personnellement, me donne envie de vomir. Ainsi, le livre donne parfois l’impression que son viol l’a rendue plus intéressante, lui a permis d’ouvrir les yeux sur sa sujétion. Je trouve vraiment horrible d’avoir à dire une telle chose. J’imagine, et je suis même certaine, que ce n’était pas le message initial de l’auteur, mais c’est ainsi que je l’ai ressenti. A cela s’ajoute un passage extrêmement troublant qui semble faire l’apologie du viol. Je vous laisse juger : Peut-être a-t-elle-même éprouvé une forme de compassion pour son violeur qui assumait la violence de l’acte sexuel et acceptait de pratiquer délibérément sur des femmes innocentes, refusant aussi de se laisser piéger par la routine que son mariage lui imposait. […] Marie regrette parfois de ne pas avoir pu être en communion avec cet homme, de ne pas avoir ressenti le plaisir approprié à cet assemblage de corps souffrants, […] Et je suis désolée mais non. A partir du moment où Marie représente l’intégralité des femmes violées, comme cela semble suggéré et qui pose déjà problème en soi, lui attribuer ce genre de pensées n’est pas acceptable. On ne peut pas caser un « pauvre violeur » vite fait dans son texte sans développer davantage, comme si c’était normal. Je ne peux pas.
Outre le sujet qui, pour moi, est traité de façon très maladroite, de point de vue de la psychologie des personnages, c’est là encore, un désastre total. Marie, comme dit précédemment, est affligeante de banalité, il est donc par conséquent très difficile de s’identifier à elle. Quant à son Laurent, il est tout simplement hérissant : son comportement, sa manière de parler, sa confiance en lui m’ont énervée. Enfin, en ce qui concerne la famille de Marie, elle est tout aussi inintéressante. Tout le monde est rangé dans une petite case et n’en sort sous aucun prétexte. Personne n’a de véritable intériorité, de caractère ou d’évolution intéressante. Cela m’a beaucoup déçue car les premières pages laissaient entrevoir le récit d’un parcours psychologique intéressant, celui de Marie. J’espérais ainsi assister avec stupeur à la chute de cette femme, comprendre ce qu’elle avait traversé, comment elle en était venue à sacrifier tout ce pour quoi elle s’était battue, et être, par la même occasion, moi-même bouleversée. Au lieu de cela, je me suis retrouvée à suivre des personnages sans profondeur, auxquels je ne suis pas parvenue à m’attacher. Même l’assassinat du bébé ne m’a fait ni chaud ni froid, tout simplement parce que je sais qu’il n’existe pas, et pourtant je vous assure que je ne suis pas une psychopathe. Les personnages ne sont pas parvenus à prendre vie sur le papier, demeurant irrémédiablement inconsistants. Je m’arrête là, je deviens méchante. Je conclus simplement en m’étonnant de ce que je n’ai trouvé aucune critique négative sur ce livre, qui semble faire l’unanimité, décrit comme « à mettre entre toutes les mains ». J’avoue que c’est assez bien écrit, l’auteur a un certain potentiel, mais je pense qu’elle devrait mieux travailler ses personnages et penser à intégrer moins de clichés dans sa narration. Ce n’est pas à brûler, donc, mais le bûcher n’est pas loin. Elise
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AuteursRaphaëlle, 17 ans, grande lectrice, du classique à la science-fiction. Archives
Juin 2019
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