Résumé : Dans cette famille dysfonctionnelle – c’est le moins que l’on puisse dire – la fille, le fils, et la mère tentent de survivre, chacun à leur manière, au père, dangereux chasseur assoiffé de sang. Gilles et sa sœur restent néanmoins soudés, du moins pendant un temps. Car plus le temps passe, plus le petit garçon s’éloigne pour se rapprocher de son père, dont la colère semble contagieuse. La vraie vie est tout simplement celle qui s’oppose à la fausse, celle dont on ne veut pas, qu’on rejette, en attendant mieux. Condamnée à vivre dans l’atmosphère la plus néfaste qui soit, la narratrice trouve ainsi un moyen de survivre : en identifiant l’instant où tout a basculé, se persuadant que si elle parvient à revenir en arrière pour modifier ce moment, tout sera différent. Bien entendu, elle se berce d’illusions, mais personne, ni Monica, ni le lecteur, n’oserait la contredire et lui enlever cette graine d’espoir qui la maintient debout. De toute manière, au fond d’elle-même, cette fillette sait qu’elle n’est pas la responsable du monstre que devient son frère. Le véritable responsable, c’est son père, figure de l’être ignoble et abject par excellence. Et tandis que la petite fille, année après année, se raccroche à cet espoir auquel son esprit rationnel ne peut croire, pour survivre, Gille adopte une autre stratégie : s’allier à l’ennemi. Leurs méthodes sont radicalement opposées, et pourtant visent au même but : devenir prédateur plutôt que proie. Construit autour du champ lexical de la chasse, ce roman nous parle non seulement de chasse, mais aussi et surtout de vie et de mort, de lutte et de soumission. Effectivement, Adeline Dieudonné met en scène un chasseur, incarnant le méchant par excellence, pour lequel aucun repentir n’est possible. Ce genre de personnage figure parmi les plus difficiles à construire qui soient. Ces monstres sont en effet très difficiles à comprendre et absolument impardonnables, et ce, quelle que soit leur sensibilité vis-à-vis des chansons de Claude François. Mais s’il ne suscite aucune compassion, ce père qui n’a de paternel que son nom ne manquera pas d’obséder le lecteur, constamment à l’affût de ses colères et actes violents en tout genre. Ce livre m’a littéralement happée, de la première à la dernière page. En effet, malgré un synopsis peu engageant, l’auteur parvient à mettre en place un décor à la fois très proche de ce que doit être le monde d’une personne sous emprise, mais aussi tout-à-fait surréaliste, de par l’imaginaire d’enfant de la petite fille. Car alors que sa vie est un véritable enfer, son cerveau est empli de cimetières de voitures, de machines à remonter le temps et de Hyènes maléfiques. Ce curieux mélange m’a fascinée, si bien que je suis très rapidement rentrée dans cette histoire. Ainsi, après avoir parcouru ces 262 pages en deux jours à peine (habituellement je lis un livre par semaine), ma seule pensée était : « C’est tout ? ». Car ces 262 pages ne me suffisaient pas, de même que cette fin abrupte : j’en voulais plus. Je précise que ce n’est absolument pas une critique, au contraire, cela contribue à l’effet que provoque ce livre, que je qualifierais de « livre coup de poing », dans le sens où il m’a bouleversée et fait ressentir le mal-être de l’héroïne. Celle -ci est par ailleurs tout-à-fait attachante. Intelligente, débrouillarde, forte et plus vivante que jamais, la jeune fille est bien décidée à survivre, et surtout, à dégager son frère des griffes de son bourreau, quoi qu’il en coûte. Nous ne connaîtrons malheureusement jamais le nom, ce qui, depuis quelques temps, semble être devenu une mode dans les romans à la première personne. Je trouvais cela très original dans un premier temps, mais plus je lis de livres du même acabit et plus cela me lasse. Aussi, une formule m’a semblée à la limite du « gnangnan » : « si elle pensait que le sourire d’un petit garçon en dépendait, elle penserait autrement », si mes souvenirs sont exacts. Mis à part ces détails insignifiants, j’ai adoré ce livre, son atmosphère grisâtre son écriture obsédante, et j’attends avec impatience que paraissent d’autres livres de cette auteur, qui signe là son premier roman. Elise J'aimais la nature et sa parfaite indifférence. Sa façon d'appliquer son plan précis de survie et de reproduction, quoi qu'il puisse se passer chez moi. Mon père démolissait ma mère et les oiseaux s'en foutaient. Je trouvais ça réconfortant. Ils continuaient de gazouiller, les arbres grinçaient, le vent chantait dans les feuilles du châtaignier. Je n'étais rien pour eux. Juste une spectatrice. Et cette pièce se jouait en permanence. Le décor changeait en fonction de la saison, mais chaque année, c'était le même été, avec sa lumière, son parfum et les mûres qui poussaient sur les ronces au bord du chemin.
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Résumé : Une jeune enseignante parisienne fait la rencontre de Sarah, au cours d’un nouvel an chez des amis communs. En quelques semaines, elles tombent folles amoureuses. Une rencontre fort banale, en somme, pour un livre qui ne l’est pas. Car si les premiers jours sont magiques, bien vite, l’intensité de leurs sentiments les effraie et les épuise. Leur histoire, loin des contes de fées et des happy end hollywoodiens, est celle d’un amour asymétrique et destructeur, auquel se greffe – comme si cela ne suffisait pas – le regard malveillant de la société. Ça raconte Sarah, à l’unanimité générale, du moins de ce que j’ai pu lire su Babelio, est un livre bouleversant. Les mots sont simples et précis, les phrases courtes et incisives. Pauline Delabroy-Allard parvient ainsi à nous retranscrire un amour parmi tant d’autres, celui de deux jeunes femmes. En la lisant, on comprend assez vite ce qui les unit, sans pour autant que cela soit précisément explicité. En d’autres termes, elle nous conte l’amour par surprise, celui qu’on ne voit pas venir, le sentiment le plus indescriptible qui soit. Entre ces lignes, elle nous fait ressentir la passion, la tristesse, la dépression, le bonheur ultime et l’hilarité, sans cloison. Tous en même temps. De cette manière, elle est parvenue à marquer les esprits, malgré la banalité apparente de son sujet. Car l’amour, sujet vu et revu depuis la nuit des temps, ne cesse pourtant d’inspirer. C’est pourquoi je pense que la prouesse de passionner les foules et de se démarquer des centaines d’ouvrages en apparence similaires qui paraissent chaque année doit être soulignée. Elle parvient en effet à insuffler un souffle au roman et à lui donner quelque chose que les autres n’ont pas : une certaine originalité, sans doute. Elément que l’on ne rencontre pas tous les jours non plus : l’absence totale de suspense. Dès la première page, on sait que Sarah est malade : ça va mal finir. Commence ensuite le récit de leur histoire, des beaux jours aux premières disputes. Et quand cette histoire vient à s’achever, le lecteur, plutôt que de s’attendre à des retrouvailles grandioses comme dans n’importe quel roman à l’eau de rose, sait que c’est terminé, cette fois. Et bizarrement, j’aime les histoires qui finissent mal, qui nous laissent un sentiment d’inconfort et d’inachevé et nous confrontent à de réelles émotions. Les happy end, quant à eux, se laissent facilement oublier. J’ai également apprécié le fait que le narrateur s’efface totalement dans la première partie, tout comme sa personnalité semble s’effacer aux côtés de cette si merveilleuse Sarah, tantôt envoutante, tantôt toxique. Cette absence souligne très bien le fait qu’elle ne peut vivre sans cette femme, si bien qu’une fois venue la seconde partie, on réalise qu’au fond, on ne connait rien de ce je qui nous raconte son histoire, pas même son prénom. Sans elle, elle n’est que douleur. Aussi, ce roman ose dire les choses. Je m’explique. Nous avons chaque jours des milliers de pensées qui nous traversent, sans pour autant que l’on puisse se permettre de les verbaliser, tout simplement car la société ne les approuverait pas. Mais cet indicible, Pauline Delabroy-Allard a décidé de le dire, sans ce soucier du qu’en dira-t-on. Et plutôt que de décrire simplement un chagrin d’amour classique, elle décrit également la colère du je envers une femme malade, qu’elle va jusqu’à traiter de « connasse ». Aussi, la narratrice, en perdant pied, va jusqu’à négliger sa fille, dont elle commence même à oublier le visage. Et puis… quel délice de lire un livre si bien écrit ! Les chapitres sont courts mais percutants. En peu de mot, le temps qui passe se fait ressentir, si bien que malgré le peu de pages du livre, j’ai effectivement eu l’impression que plusieurs années s’étaient écoulées depuis la rencontre de Sarah et de notre mystérieuse conteuse. Je ne sais qu’ajouter de plus car… Quand c’est bien, c’est bien ! Le livre sort de l’ordinaire, se lit rapidement, l’écriture est fluide. Que demander de plus ? Elise La vie est figée. Ça va durer cent ans, comme dans les contes. Mais non. Son mouvement de menton, et tout bouillonne. Elle est une flamme qui déferle, dans tout l'allegro. Elle bondit, ma sauvageonne, elle saute, elle trépigne, elle fuse. Con fuoco, et ce n'est pas moi qui le dit. Ce n'est plus son violon, c'est elle qui chante. Je voudrais que ça dure cent ans, comme dans les contes, que ça ne cesse jamais. Et puis, dans le presto, elle bombe le torse, mon petit soldat, elle s'en va-t-en guerre et je suis sa captive, pieds et poings liés. Ce sont les dernières mesures, elle se dresse, elle se cabre, elle devient titan. Résumé : Londres, 1979. Candice, actrice d’une vingtaine d’années, enchaîne les répétitions et les cours de théâtre. Jones, quelques années de plus, musicien à ses heures, vient de perdre son emploi. Elle est pleine de rêves, il semble avoir renoncé. Au beau milieu des grèves et des manifestations, ils continuent de mener leur vie comme si de rien n’était. Thomas Reverdy, écrivain confirmé puisqu’il est déjà l’auteur de huit romans, nous livre un roman assez déconcertant, alternant envolées lyriques autour du personnage de Candice et réflexions politiques, si bien que je ne sais que penser. En effet, alors qu’habituellement j’ai un avis général concernant les ouvrages que je lis, dans ce cas-ci, certains passages m’ont transportée et émue, tandis que d’autres m’ont franchement ennuyée. Une lecture en demi-teinte donc, que je vais m’efforcer de décoder. Je ne dirais pas que cette alternance est inintéressante, l’idée est bonne et devrait théoriquement permettre de planter le décor, afin de décrire un destin individuel au milieu du chaos. Mais l’auteur, à force de détails, m’a davantage donné l’impression de regarder un journal télévisé que de lire un roman. En outre, d’un point de vue purement subjectif, j’ai beaucoup de mal à m’intéresser à l’économie, et encore davantage à la comprendre. Les passages sur la politique internationale m’ont définitivement perdue, et je dois bien avouer que j’ai sauté quelques paragraphes lorsque l’auteur s’est lancé, dans les dernières pages, dans une longue description de A à Z de la titulature de Margaret Thatcher (littéralement, c’est-à-dire qu’il choisit un mot représentatif pour A, B,C, etc. et donne ensuite une petite explication quant à son choix). Aussi, j’ai déploré le manque d’action dans ce livre. L’histoire se déroule de manière très lente, et je ne suis même pas vraiment certaine qu’il y en ait une. Elle peut d’ailleurs facilement être résumée en une phrase : « Candice rencontre-Jones, elle le croise deux fois par hasard et puis il s’en va. » Cela, cumulé à de longs discours politiques, concourt à rendre la lecture un tantinet ennuyeuse. Néanmoins, mis à part ces quelques chapitres pompeux, l’écriture est absolument sublime. Les passages autour de Candice sont très beaux, et tirés de leurs contextes, donneraient très envie de lire ce roman. Il y est question de solitude, de non-dits, de jeunes perdus dans une société chaotique et surtout de pouvoir. J’ai beaucoup aimé la manière d’aborder ce sujet du pouvoir, à travers le personnage de Richard III, dont le règne est utilisé comme une analogie à ce fameux hiver de 1979. Pour lui, le pouvoir est une comédie. En réalité, Richard III se fiche d’avoir le pouvoir, il cherche plutôt à faire la démonstration de ses talents de manipulateur. Il ne veut pas être le plus fort, mais montrer qu’il l’est. Car il n’existe pas de véritable pouvoir sans quelqu’un sur qui l’exercer, sans les autres. Ainsi, les jeunes actrices ont pris le parti de présenter Richard davantage comme un bouffon que comme un tyran, faisant tourner en bourrique les autres protagonistes d’une part, mais également le public d’autre part. Elle fait aussi une très belle comparaison avec l’agression qu’elle a subie, mettant en évidence ce besoin des hommes de montrer leur pouvoir sur les femmes. Mais là encore, ce n’est qu’une comédie, car « les garçons jouent », tandis que les filles, depuis la nuit des temps, subissent des rôles relevant davantage de la tragédie. Et de même, l’amour n’est qu’une comédie, affirmation appuyée par une comparaison avec les comédies grecques et romaines. Dans celles-ci, la même histoire se répète inlassablement : un léno détient entre ses mains le sort d’une belle jeune fille, dont un jeune homme tombe éperdument amoureux ; malheureusement il n’a pas les moyens de la libérer et doit ruser avec son esclave pour trouver la somme nécessaire, si bien qu’il en devient grotesque. Dans les romans, l’amour est présenté différemment, comme un sentiment inévitable, source de malheur. Ces comédies antiques s’adressaient essentiellement aux hommes, tandis que les rares romans que l’on a conservé de nos Anciens étaient destinés aux femmes. Ces parallèles improbables m’ont totalement séduite si bien que, malgré ce que j’ai dit précédemment, je ne regrette pas ma lecture, puisqu’elle m’a donné l’occasion de réfléchir. Or, c’est exactement ce que je recherche dans un livre. Enfin, j’aimerais souligner la capacité de Thomas Reverdy à se glisser dans la peau d’une femme, si bien que j’en suis venue à oublier que le roman avait été écrit par un homme. Ce n’est pas quelque chose d’évident, certains auteurs ont tendance à caricaturer le caractère de la femme, la présentant comme hystérique ou irréfléchie. En définitive, je suis donc assez satisfaite de ma lecture, et je me tournerai sans doute à nouveau vers ce livre pour en relire certains passages. Elise Elle venait d’avoir vingt ans. C’est un âge où la vie ne s’est pas encore réalisée. Où tout n’est encore que promesses – ou menaces. Une époque troublée, où les gens ont commencé à ne plus croire ce que leur racontait leur gouvernement. Avec le chômage, tout était soudain cassé, les carrières, les plans de retraite, même les identités. C'est fou le nombre de gens qui se présentent en disant ce qu'ils font. Et s'ils n'ont plus de travail, il faut pourtant bien qu'ils soient encore des gens. Résumé : Maria Concepción, princesse espagnole, est élevée par son père en vue de régner. Destinée à devenir reine de France, elle épouse le roi Edouard, dont elle tombe instantanément amoureuse. Son destin semble donc tout tracé, lorsqu’elle réalise que les sentiments qu’elle porte à Girolamo, jeune garçon eunuque qui lui a été offert en esclave alors qu’ils étaient enfants, dépassent ce qu’il peut lui offrir. Liés par un lien indéfinissable, ils affrontent ensemble un monde impitoyable baigné de sang. Ce roman apparaît de prime abord comme assez différent de ce que l’auteur a pu écrire par ailleurs. En effet, ce livre, situé dans un temps imaginaire, prend des allures de roman historique, puisqu’il met en scène Maria Concepción, reine de France et d’Espagne, laquelle n’a pourtant jamais existé. Ce curieux postulat de départ permet à l’auteur de s’accorder de nombreuses libertés et d’aborder toutes sortes de sujets. Ainsi, une fois de plus, Jacqueline Harpman parvient à écrire une histoire hors du commun et tout à fait originale, sur base d’un genre on ne peut plus classique, qu’elle s’applique à déconstruire. Concernant le style, il renvoie aux romans de Madame de la Fayette, dont elle parodie l’écriture sans vergogne, usant et abusant des subjonctifs imparfaits. Cette écriture d’un autre temps achève de nous plonger dans un univers tout à fait particulier, ce qui n’est en rien contradictoire avec une grande modernité. Car Jacqueline Harpman, à mille lieues de s’embarrasser de contraintes grammaticales ou encore de la règle de bienséance si chère au temps qu’elle décrit, semble prendre un plaisir fou à malmener la langue. Aussi, afin de s’assurer de ne perdre aucun lecteur en route, elle se permet de temps à autre quelque vulgarité, qui, au beau milieu d’un chatoyant vocabulaire, dénotent d’autant plus et captivent. Ce style, elle le qualifiera elle-même de « particulier », mettant en cause le multilinguisme de son personnage. Ainsi, le véritable écrivain n’est plus Jacqueline, mais bien le serviteur eunuque de Madame la reine. Ceci nous amène au point suivant, concernant le rapport tout-à-fait particulier qu’entretient Jacqueline vis-à-vis de ses personnages et de son rôle d’écrivain. La narration est effectivement remarquable. L’histoire est rédigée à la première personne, incarnée par Girolamo, serviteur de la reine. Par son intermédiaire, elle fait allusion à plusieurs reprises à son statut d’écrivain tout puissant, mettant en place un jeu méta-littéraire à la fois subtil et à la limite de l’insolence. Pour preuve, elle n’hésite pas à se nommer elle-même, Harpman, en la position d’un enfant tenant l’encrier de Girolamo, le véritable écrivain. Elle s’identifie alors à une simple scribe soumise à son personnage, lequel a fini par prendre le contrôle de sa créatrice. D’ailleurs, à plusieurs reprise, Maria remet en cause l’existence de Dieu. Or, puisqu’elle doit son existence à Jacqueline Harpman, j’en suis venue à me demander si ce n’était pas une manière de figurer la rébellion du personnage contre son auteur, qui finit par se laisser emporter par ces hommes et ces femmes qu’il a créés de toute pièce. Mais il me semble que je me perds en conjectures, prenant le risque de voir des métaphrores là où il n’y en a pas. Revenons-en donc à une lecture plus littérale de ce texte. A propos des thèmes qui sont abordés dans ce texte, j’ai beaucoup aimé la manière Harpman traite celui de l’amour impossible, qui prend plusieurs formes. D’abord, un amour impossible au sens littéral du terme, puisque la condition de Girolamo en empêche sa réalisation. Ensuite, un amour incestueux rendu impossible par la société, celui Delphine et de son frère. Ce second couple sert de miroir au premier, mettant ainsi en évidence la relation fraternelle qui unit Maria à son esclave. Cet amour platonique, bien que cruel et malsain, est présenté comme le plus beau et le plus éternel qui soit, comme si la seule manière d’entretenir le désir était de l’interdire. Ne désire-t-on vraiment que ce que l’on ne possède pas ? Ce livre soulève ainsi de nombreuses questions quant à la nature de l’amour, et plus particulièrement celui qui va au-delà de la simple union biologique et reproductive, à une époque où la femme a pour seule fonction de fournir à la couronne un héritier. Pour poursuivre sur le même sujet, j’aimerais souligner la modernité du personnage de la reine. Dans un temps où la femme se doit d’être soumise, elle n’hésite pas à briser les règles, allant jusqu’à abroger la loi salique et à rêver d’une Europe unie qui ne verra le jour que bien des siècles plus tard… De ce fait, la reine voyage, monte à cheval et prend une part active à la politique de son pays. J’ai beaucoup aimé le mélange de ce personnage digne des plus grandes poésies épiques, plongé dans une atmosphère évoquant La Princesse de Clèves. Le paradoxe est d’autant plus fort que la Princesse de Clèves est également en proie à un amour impossible, alors même que son caractère est radicalement opposé à celui de Maria… Mais voilà que je m’emporte de nouveau et surinterprète peut-être. Si vous avez lu Le Bonheur dans le crime de la même auteur, vous aurez certainement remarqué les nombreuses similitudes entre ces deux romans. Elle y glisse même une allusion vers les dernières pages, ce qui laisse à penser que ces parallélismes sont volontaires. En effet, on retrouve le thème de l’inceste, très dérangeant mais visiblement cher à cette écrivain, un style d’un autre siècle, et un récit à la première personne construit sur une rétrospection. Aussi, l’architecture a une importance proéminente dans l’intrigue, puisque comme la maison d’Emma, le château de Vaux-le-roi a une part invisible, refuge des amants. Je l’avoue, j’avais peur, en commençant ma lecture, de ne pas retrouver la patte de Jacqueline Harpman, dans un registre si différent de ce que j’avais lu d’elle jusqu’alors. Mais en mêlant les genres et en en bouleversant les règles, elle est parvenue à imprimer sa propre marque de fabrique sur cette histoire, prouvant ainsi son incroyable faculté d’adaptation. C’est donc soulagée et repue de ces quelques 344 pages que j’ai dévorées que je vous écris, sans savoir comment conclure ni comment ordonner mes pensées, face à un livre si déstabilisant. Car c’est un roman étrange et aux facettes multiples que nous livre Jacqueline Harpman, si bien qu’arrivée à la dernière page, on ne sait que penser. Que dire en effet après cette scène grandiose, celle de la mort d’une reine, mais avant tout d’une femme, qui n’est pas sans rappeler la scène de fin d’un certain Père Goriot ? J’ai l’impression de me répéter à chaque fois que j’écris sur cette auteur, mais elle me fascine et je ne peux pas ne pas le dire : encore une fois, elle a réveillé ma fureur de lire et je me tournerais sans doute bien vite vers ses autres livres. Elise Je dois au crime dont je fut la victime d'avoir été le plus heureux des hommes parce qu'il me permit de vivre le seul amour qui reste toujours intact, celui que rien n'altère, l'amour impossible qu'aucun exaucement n'affadit. Résumé: Le narrateur de la Recherche est et n’est pas l’auteur. En effet, ce personnage nous partage sa vie, ses rencontres, ses voyages, ses amours (ou plutôt son amour, toujours le même, se répétant de façon différente), ses opinions, sa perception du réel, son parcours pour enfin devenir un écrivain, tout en étant imaginaire, sans prénom, ce qu’il nous prouve à quelques reprises : « Dès qu’elle retrouvait la parole elle disait : « Mon » ou « Mon chéri » suivis l’un ou l’autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au narrateur le même nom qu’à l’auteur de ce livre, eût fait : « Mon Marcel », « Mon chéri Marcel ». » et « Dans ce livre où il n’y a pas un seul fait fictif, où il n’y a pas un seul personnage « à clefs », où tout a été inventé par moi selon les besoins de ma démonstration, je dois dire à la louange de mon pays que seuls les parents millionnaires de Françoise ayant quitté leur retraite pour aider leur nièce sans appui, que seuls ceux -là sont des gens réels, qui existent. ». Comme vous l’avez remarqué, les phrases de la Recherche ont la particularité d’être longues, de telle façon que relire une phrase parce que nous avons pris conscience en la finissant que nous avions oublié son début est très fréquent.
Si à la lenteur à laquelle nous avançons dans les pages nous rajoutons le nombre de tomes (7), nous obtenons une lecture longue, qui dans mon cas m’a pris deux mois. Deux mois pendant lesquels j’ai tour à tour ressenti, envers ce livre, de l’amour et de l’agacement, car il y a quelques longueurs, peu nombreuses heureusement. De ce fait, certains passages m’ont occupés pendant plusieurs semaines, tandis que d’autres ont été engloutis en quelques heures. Ces heures frénétiques où j’oubliais le temps qui passait et les pages qui se tournaient, où j’espérais que je ne finisse jamais la Recherche, font partie des plus marquantes de mon expérience littéraire. Ces phrases donnent une atmosphère étrange, décalée, qui attire l’attention du lecteur sur les choses les plus futiles, comme la vue d’un clocher, le parfum des aubépines, le gout d’une madeleine. Cette atmosphère est accentuée par le charme des personnages, due leur manière unique de parler. Ils appartiennent à la bourgeoisie ou à la haute noblesse du début 20e, et la description de leurs milieux accompagne celle de leurs qualités et défauts, ainsi que celle de l’évolution de ceux-ci. Hypocrisie, snobisme, familiarité, conversations, art, rencontres, jeux, tout y passe pour nous représenter au mieux ce que furent les salons de cette époque. L’évolution des personnages, et donc de leurs milieux, s’installe lentement mais cause quelques surprises : un homme médiocre qui s’avère être un écrivain de talent, des mariages inattendus, et j’en passe. Je n’ai pas éprouvé que de l’étonnement, mais aussi les émotions du narrateur (à plus petite échelle que lui évidemment). Par exemple, j’ai également ressenti de la tristesse, au moment où il comprend qu’il a perdu sa grand-mère. Cependant, il m’a aussi rendu très mal à l’aise lorsqu’il surveille étroitement sa maitresse. J’ai eu du mal à finir cette partie car c’est la seule où je me suis sentie détachée du narrateur. Durant le reste du roman, je me suis sentie très proche de sa pensée et de son raisonnement. Cette presque totale empathie s’explique par le fait que le narrateur décrit des choses que nous avons tous vécues, sans savoir parfois les expliquer, comme l’état étrange qui suit le sommeil et précède le réveil, ou encore fournit des vérités inconnues, entre autres sur notre rapport à la lecture : «Car ils ne seraient pas, selon moi, mes lecteurs, mais les propres lecteurs d’eux-mêmes, mon livre n’étant qu’une sorte de ces verres grossissants comme ceux que tendait à un acheteur l’opticien de Combray : mon livre, grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes. ». Ainsi, la Recherche se situe entre essai et roman, et les passages argumentatifs et narratifs se suivent naturellement. Le narrateur nous emmène d’un événement à une idée, d’une idée à un évènement, pour arriver à quelque chose d’entièrement différent, sans que nous puissions nous rappeler tous les enchaînements logiques qui nous ont amené là. Et parfois il lui arrive de revenir en arrière afin de poursuivre une explication entamée plusieurs dizaines de pages auparavant. En conclusion, je ne dirai pas : ‘‘Il faut lire La Recherche à tout prix !’’. Parce que ce roman est long, et que ceux qui n’aiment pas lire verraient leur dégoût se transformer en haine. Mais pour ceux qui aiment lire, ils ne perdent rien à essayer. Car la Recherche est unique. Rapha Résumé : Klaus et Lucas, deux jumeaux, au cœur de la guerre, sont amenés par leur mère chez leur grand-mère, une femme sale et repoussante que les villageois surnomment la sorcière. Au cœur de ce régime totalitaire, les deux enfants se livrent à des exercices d’endurcissement. Au terme de la guerre, ils sont devenus de véritables monstres. Dans le cadre d’un cours de littérature consacré aux auteurs de français langue étrangère, j’ai été invitée à lire la trilogie des jumeaux d’Agota Kristof, une auteur hongroise. Cette trilogie se divise en trois tomes : « Le grand cahier », « La preuve », et « Le troisième mensonge ». J’ai lu les deux premiers et entamé le troisième lorsque j’ai appris que je n’avais pas le droit, pour des raisons trop complexes à expliquer ici, de suivre ce cours. Mais à chaque mauvaise nouvelle il y a un aspect positif et dans ce cas précis, cela m’a permis d’abréger mes souffrances et d’interrompre ma lecture. En effet, j’ai détesté ce livre. Certes, l’atmosphère et les images qu’il dégage sont pour le moins originales. Certes, le jeu entre mensonge et fiction révélé dans les dernières pages du second volume est intéressant. Et bien sûr, je comprends la métaphore de la gémellité de l’exilé, tiraillé entre ses deux patries. Je ne dirais donc pas que ce roman est mauvais, simplement, c’est le genre de chose que, à titre personnel, je n’ai absolument pas envie de lire. D’abord, ce roman présente certaines scènes qui m’ont véritablement perturbée. Au programme : zoophilie, rapports incestueux, pédophilie, sadomasochisme (avec des enfants) et un prêtre suspect. Quant aux personnages, ils sont plus malsains et antipathiques les uns que les autres. Ainsi, les deux jumeaux se comportent non pas comme des enfants au passé difficile, comme on le laisse entendre, mais comme de véritables psychopathes. Je pense par exemple à l’incendie de la maison de bec de lièvre, mais aussi et surtout à cette étrange habitude que de conserver les os de ses proches en guise d’objets décoratifs… Ensuite, du point de vue de l’écriture, elle est volontairement noire et insensible. Les deux enfants le disent eux-mêmes : ils éliminent des grands cahiers tout ce qui relève de l’émotionnel et se limitent au faits. Cette distance vis-à-vis du lecteur était donc tout-à-fait volontaire de la part d’Agota Kristof, mais je n’en comprends pas pour autant l’intérêt. Effectivement, la littérature est le support idéal pour aborder toutes sortes de sujets, y compris les plus sombres qui soient. Cependant, ici, cette insensibilité volontaire suscite davantage le malaise et le dégoût plutôt que la réflexion. Je ne vous conseille donc pas ce livre, véritable puits à images traumatisantes. Je ne sais pas ce qui a amené l’auteur à écrire des choses pareilles, mais j’ai du mal à concevoir qu’un esprit normalement constitué puisse imaginer des telles horreurs. Je regrette néanmoins de ne pas avoir l'occasion, en fin de compte, d'avoir cours sur cette auteur. Cela m'aurait probablement donné d'autres clés de lecture. Je sais en effet que j'ai tendance à lire au premier degré, défaut que je m'efforce de corriger. En lisant d'autres critiques, j'ai également pu constater que nombre de lecteurs avaient apprécié ce livre et son écriture si froide et déroutante. A vous de juger, donc. Elise Pour décider si c'est «Bien» ou «Pas bien», nous avons une règle très simple: la composition doit être vraie. Nous devons décrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons. |
AuteursRaphaëlle, 17 ans, grande lectrice, du classique à la science-fiction. Archives
Juin 2019
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